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    L’époque est décidément bien étrange… un pan de l’histoire de Saint-Malo est remise au goût du jour avec le couvre-feu : les chiens du Guet seraient de retour dans la cité corsaire ?

    En 1155, L'Evêque de Saint-Malo, Jean de Chatillon, dit Jean de la Grille, jeta les bases d'une organisation administrative et défensive de la cité.  Il créa une milice urbaine qu'il renforça de 24 dogues achetés en Angleterre. 

     Cette milice était constituée de bourgeois de la ville. Chaque famille devait fournir un homme, de 16 à 60 ans, chacun étant équipé en armes, matériels... La garde se composait de 500 à 600 hommes répartis en 14 compagnies, avec chacune un capitaine et 3 lieutenants. Deux compagnies étaient de service toutes les 24 heures. En plus de la surveillance du couvre-feu et des portes de la ville, la milice assurait la veille aux remparts, et en cas d'attaques, elle défendait l'enceinte avec l'aide de canons.

    Couvre-feu à Saint-Malo. Une solution : les dogues ?  A 22h chaque soir la cloche Noguette de la cathédrale sonnait le début du couvre-feu. Les portes de la ville étaient fermées et les clés étaient remises à la cos-seigneurie ecclésiastique jusqu'en 1513, et après cette date, les clés étaient remises au gouverneur du château.  Ensuite, les chiens étaient lâchés sur la grève pour sécuriser les navires et leurs cargaisons. 1 heure avant le lever du soleil, les "chiennetiers" rappelaient les chiens au son d'une trompette et cela marquait la fin du couvre-feu.  Noguette continue de sonner chaque soir à 22h.

    Les dogues n'étaient pas commodes. Il fallait les nourrir. C'était possible grâce à un impôt spécial, « droit de chiennage »,  qui permettait aussi de payer les chiennetiers qui dressaient les bêtes puis les lançaient le soir et les récupéraient le matin pour les enfermer dans un chenil. On connaît trois emplacements successifs à celui-ci. L'un d'eux se tient à l'entrée du Sillon ou à partir de 1675,  sous le bastion de la Hollande. Les dogues sont présents sur les armoiries de la ville et la devise primitive de la ville était "Cave canem" (attention aux chiens).

     

    Chateaubriand, natif de Saint-Malo, fait aussi référence aux chiens du guet dans ses Mémoires d'outre-tombe, chapitre 4, livre Ier :

     « Enfin, pour ne rien omettre, je rappellerai les dogues qui formaient la garnison de Saint-Malo : ils descendaient de ces chiens fameux, enfants de régiment dans les Gaules, et qui, selon Strabon, livraient avec leurs maîtres des batailles rangées aux Romains. Albert le Grand, religieux de l'ordre de saint Dominique, auteur aussi grave que le géographe grec, déclare qu'à Saint-Malo " la garde d'une place si importante était commise toutes les nuits à la fidélité de certains dogues qui faisaient bonne et sûre patrouille ". Ils furent condamnés à la peine capitale pour avoir eu le malheur de manger inconsidérément les jambes d'un gentilhomme ; ce qui a donné lieu de nos jours à la chanson : Bon voyage. On se moque de tout. On emprisonna les criminels ; l'un d'eux refusa de prendre la nourriture des mains de son gardien qui pleurait ; le noble animal se laissa mourir de faim : les chiens, comme les hommes, sont punis de leur fidélité. Au surplus, le Capitole était, de même que ma Délos, gardé par des chiens, lesquels n'aboyaient pas lorsque Scipion l'Africain venait à l'aube faire sa prière. »

     

     Le recours aux dogues aurait été interrompu en 1770 suite à un terrible accident : un officier de la marine royale, Jean-Baptiste Ansquer de Kerouatz, qui se serait attardé auprès de sa fiancée à Saint Servan et errait imprudemment sur la grève, fut attaqué par les chiens. Il aurait gagné la mer pour leur échapper. En vain. Les dogues, selon une tradition, lui auraient dévoré les mollets et, selon une autre, le corps entier. Les juges baillifs des eaux (chargés de la police du port et des grèves) ordonnèrent l'empoisonnement des dogues. Les chiennetiers refusèrent de le faire et ce sont les juges qui se prêtèrent à cette basse besogne.

    Il n'y avait plus beaucoup de navires à garder, ce qui explique aussi et surtout la fin de ces dogues! 

    En fait, la fin de l'âge d'or de la Bretagne est plutôt une des raisons de la fin du recours à ces dogues :

    - Une véritable guerre douanière sévit à partir du milieu du 17è siècle, du côté anglais comme du côté français. Le gouvernement de Colbert entend taxer les importations de draps anglais pour favoriser la draperie française. Alors que les droits de douane sur la pièce de drap fin étaient simplement de 6 livres en 1632, ils atteignent 80 livres en 1667! L'Angleterre réplique en 1678 en décrétant un embargo sur les principales marchandises françaises, dont les toiles bretonnes. En 1687, quatre arrêts du Conseil du roi de France doublent le montant des droits sur les draps anglais et interdisent leur entrée en France en dehors des ports de Calais et Sant-Valéry en Caux. En 1689, la guerre éclate entre la France et l'Angleterre : les relations commerciales avec la France sont alors interdites par le Prohibition Act. On devine les effets catastrophiques sur l'exportation des toiles : ne pouvant plus écouler leur draperie en Bretagne, les Anglais ne viennent plus en Bretagne chercher des toiles, et préfèrent s'approvisionner en Irlande ou en Silésie.

    - C'en est fini de la course, avec la paix d'Utrecht de 1713,

    - C'en est fini aussi de la "mer du Sud" depuis 1712,  c'en est fini enfin du commerce avec l'océan indien quand en 1719 le gouvernement royal en attribue le monopole à une Compagnie des Indes orientales dont le siège est non pas à Saint-Malo mais à Lorient.

    Saint-Malo se retrouve donc ramené à ses trafics traditionnels : la morue et le commerce avec l'Espagne. C'est assez pour conserver une envergure nationale, et notamment pour assurer le débouché des toiles "Bretagnes" (fabriquées dans la région de Quintin-Uzel-Loudéac),  mais Saint-Malo ne peut plus jouer dans la même catégorie que durant le règne de Louis XIV. La production des "bretagnes" progresse régulièrement durant tout le 18ème siècle, jusqu'à  ce que les guerres paralysent le commerce : c'est le cas de la guerre d'Indépendance américaine, déclarée en 1776. La lutte entre  France et Angleterre se joue pour une bonne part sur mer, dans la capture des navires de l'adversaire : on comprend que les liaisons soient interrompues.

     

    Depuis le 24 octobre, dans le cadre de la crise sanitaire, le couvre-feu est établi dans un 54 département en France dont l'Ille-et-Vilaine.  Le curé de la cathédrale a décidé d'adapter Noguette aux mesures gouvernementales.  Elle sonnera désormais , exceptionnellement, le couvre-feu a 21h.   

     La brigade de nuit de la police municipale malouine a sillonné la ville, samedi soir, dès l’entrée en vigueur du couvre-feu.  A quand le retour des dogues ?

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

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  •  Lors de notre dernier voyage d’étude en Ecosse avec 104 élèves de section européenne nous  avons passé une journée dans la vallée de Glencoe, un des sites les plus visités d’Ecosse.

    ECOSSE : GLENCOE, la Vallée des LarmesEn Ecosse, le passé est si présent qu’il imprègne chaque lieu qui nous entoure. Ce cadre si magnifique fut le théâtre d’un épisode les plus tragiquesECOSSE : GLENCOE, la Vallée des Larmes de l’histoire de l’Ecosse : le massacre de 30 membres du clan MacDonald le 13 février 1692.

     

    Contexte

            En 1685, le très catholique Jacques (James) Stuart , frère de Charles II, devient roi d’Angleterre, d’Ecosse et d’Irlande, En Ecosse il est connu sous le titre de Jacques VI et en Angleterre Jacques II.  Il eu 2 filles d’un 1er mariage. En 1688, sa 2ème épouse donna naissance à un fils, James, héritier du trône. 

    ECOSSE : GLENCOE, la Vallée des LarmesLes Protestants craignaient que l’Angleterre ne devienne une nation catholique. C’est pourquoi ils firent appel à Mary et son mari, le gouverneur des Provinces-Unies (Pays-Bas), Guillaume d'Orange, de fervents protestants. Apprenant leur arrivée, Jacques II pris la fuite et trouva refuge en France, craignant de subir le même sort que son père Charles I en 1649 (décapité devant son palais de Whitehall) !

            Cependant, beaucoup de personnes continuaient à soutenir James, d’où leur nom Jacobites.  Le soutien fut particulièrement important en Ecosse où ils tentèrent à plusieurs reprises de remettre James et ses descendants sur le trône. Il y a eu 5 tentatives entre 1689 et 1745.

    En 1745, Charles Edouard Stuart, petit-fils de James VI,  arriva en Ecosse pour faire valoir ses droits au trône de Grande-Bretagne. Il rassembla une armée mais fut battu lors de la bataille de Culloden en 1746. Ce fut le début d’une répression sanglante et d’une série de lois contre les Jacobites.

     

    Le serment d'allégeance à Guillaume d'Orange

    Le 27 août 1691, le roi Guillaume d’Orange promis d’accorder son pardon aux différents clans des Highlands pour leur participation dans les révoltes jacobites en échange d’un ECOSSE : GLENCOE, la Vallée des Larmesserment d’allégeance avant le 1er janvier 1692. Chaque chef de clan devait se rendre auprès d’un magistrat et ceux qui ne parvenaient pas à comparaître avant la date limite étaient menacés de représailles sévères de la part du nouveau roi.

    Alastair MacIain, le chef des MacDonald de Glencoe, partit le 31 décembre 1691 pour Fort William, où il avait l'intention de prêter serment, mais le colonel John Hill déclara ne pas être habilité à accepter le serment et le renvoya voir Sir Colin Campbell, le shériff d’Argyle, à Inverary.  Il prêta finalement serment le 6 janvier 1692 avec l’assurance que celui-ci serait accepté.  Malheureusement, le secrétaire d’Etat pour l’Ecosse, John Dalrymple considéra ce serment comme irrecevable et ordonna le massacre du clan MacDonald.

     

    Le massacre de Glencoe : Clan Campbell contre Clan MacDonald

     ECOSSE : GLENCOE, la Vallée des Larmes  L’ordre fut donné à Archibald Campbell (clan ennemi des MacDonald) de partir pour Glencoe avec 120 soldats et d’exécuter tous les hommes du clan MacDonald âgés de moins de 70 ans. Fidèle à la tradition d’hospitalité des clans des Highlands, le clan MacDonald accueillit pendant 12 jours ses futurs bourreaux, ils leur offrirent le gîte et le couvert, des liens se créèrent entre les soldats et les membres du clan. Maclain était lié par mariage avec la famille du chef du régiment chargé de la terrible besogne !  

     "Glencoe", 1692 de John Blake MacDonald (1829–1901)      

    A 5 heures du martin le 13 février 1692,  dans le froid et la nuit, le massacre commença. Ils massacrèrent de sang-froid et avec méthode hommes, femmes et enfants,  brûlèrent les maisons. Devant une telle brutalité certains soldats ne purent perpétrer l’irréparable et  laissèrent leurs hôtes s’enfuir… 38 hommes, femmes et enfants furent tués. Les survivants tentèrent de fuir dans les montagnes enneigées,  40 d’entre eux moururent de froid et de faim dans leur fuite. 

    Campbell de Glenlyon commit l’irréparable, l’impardonnable, l’inconcevable à savoir trahir ceux qui lui avait tendu la main, ceux avec qui, pendant 12 jours, il avait partagé le quotidien, les joies et les peines.

    Toute l’Europe catholique et même l’Angleterre protestante s’indignèrent de la barbarie et de la perfidie du gouvernement du roi Guillaume.

     

    Glencoe, la vallée des Larmes

             Ces paysages merveilleux  devant lesquels nous nous extasions aujourd’hui gardent la mémoire de ces tristes moments et si nous prêtons l’oreille nous entendons leurs cris et ECOSSE : GLENCOE, la Vallée des Larmesleurs pleurs hanter encore les lieux.

    ECOSSE : GLENCOE, la Vallée des LarmesReste qu’encore aujourd’hui ce massacre a profondément choqué les écossais par sa trahison et sa violence,  Glencoe, the Glen of the Weepings, la Vallée des Larmes, semble ne rien avoir oublié : à l’entrée de l’auberge Clachaig une plaque en cuivre annonce qu’on n’accueille ici "ni les démarcheurs, ni… les Campbell".

    L’arrivée à Glencoe ne laisse personne indifférent : soudain plus personne ne parle, on a toujours le souffle un peu coupé par la beauté et la grandeur du paysage mais aussi par ce qui s’y est passé. C’est difficile de ne pas tomber amoureux de l’Ecosse après avoir vu ça. Une foule de sentiments nous envahit, c’est assez indescriptible, une chose est sûre : il faut y être allé une fois dans sa vie !

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